Interview de Frank Santoro
Biographie
Où êtes vous né et où vivez-vous aujourd’hui ?
Je suis née à Pittsburgh, en Pennsylvanie, en 1972. J’ai déménagé à San Francisco à 18 ans pour aller dans une école d’art, mais j’ai abandonné pour faire de la bande dessinée. Je suis resté à San Francisco jusqu’à mon arrivée à New York en 1999. Donc, dix ans à SF, puis huit ans à New York, puis je suis retourné à Pittsburgh, où je vis actuellement. Oh, et à un moment dans tout ça, je suis allé au Nouveau-Mexique, à Taos, pour quelques années et j’ai vécu en dehors du circuit.
Quelles sont les maisons d’édition “small press” et plus officielles avec lesquelles vous avez collaboré ? Ou avez vous fait de l’auto-édition, avec un nom de structure ?
PictureBox fut mon éditeur de 2005 à 2013. Mais c’était un éditeur dont les publications étaient distribuées dans tout le pays. Pas réellement "small press". Dans les années 1990, je me suis publié sous mon propre nom ou sous le nom de "Sirk Productions". La librairie de bandes dessinées Copacetic Comics de Bill Boichel a également auto-publié mon travail d’adolescent, mais ils s’appelaient alors "BEM". Aujourd’hui, si je publie moi-même, je le fais simplement sous mon propre nom.
Comment avez-vous appris votre métier d’auteur ?
Dans la librairie de Bill Boichel à Pittsburgh. Il avait un ami, Tom Grindberg, qui vivait au sous-sol et qui travaillait pour Neal Adams et Contuinity Comics. Et il me montrait des choses. Il regardait mon travail et m’aidait. Il allait à New York et revenait avec des choses que je n’avais jamais vues auparavant. Comme des albums européens ou de très vieilles bandes dessinées obscures. Il y avait aussi le gars qui dessinait Spider-Man à l’époque, au milieu des années 80, Ron Frenz. Il vivait à Pittsburgh et il allait à des conventions de bande dessinée et il était gentil et encourageant. Et John Totleben. J’avais probablement quatorze ans. J’ai eu de la chance, Bill a amené les Frères Hernandez et Dan Clowes à Pittsburgh et je les ai rencontrés à 19 ans. C’est comme ça que j’ai appris. Il faut montrer son travail à des professionnels.
Vivez-vous de votre art, sinon comment faites-vous pour tenir le coup ?
Je gagne de l’argent avec mon art. Pas assez pour en vivre, cependant. La plupart du temps, je vends des livres d’occasion, comme de vieilles bandes dessinées de collection, pour gagner ma vie.
Auto-édition
Par qui/comment s’est fait votre premier contact avec la scène de l’auto-édition ?
Bill Boichel et sa librairie de bandes dessinées. Il fabriquait des bandes dessinées abstraites au sous-sol et les imprimait sur la machine xerox qu’il possédait. Et ensuite, il montait dans la boutique et les vendait à côté des livres grand public. Ses bandes dessinées étaient au prix de 25 cents. C’était à la fois sérieux et une blague. Du véritable ART. Il possédait le magasin, fabriquait ses propres bandes dessinées au sous-sol et les vendait lui-même.
Puis, en Californie, par le regretté Dylan Williams. Il travaillait à Comic Relief sur Haight Street à San Francisco et nous sommes devenus amis. En 1992 peut-être ? Il a ensuite fondé Sparkplug Books, une petite maison d’édition influente en Amérique du Nord. Et puis Jeff Levine, qui faisait un fanzine appelé "Destroy All Comics", pour lequel Dylan a également écrit. Et j’ai écrit pour ce fanzine aussi. C’est Jeff qui m’a parlé de John Porcellino. Mais c’était en 1993. Je lisais des mini-comics fait par des gens comme Wayno et Pushead au magasin de Bill à Pittsburgh depuis 1986. Il y avait toute une scène dans les années 80 qui a été éclipsée par les années 90. En outre, on n’appelait pas ça de l’auto-édition à la fin des années 80. Il y avait des trucs comme Teenage Mutant Ninja Turtles. C’était une auto-édition. Faire des zines et des mini-comics, c’était juste créer des zines et des mini-comics. Ces définitions ont légèrement changé au milieu des années 90.
Pourquoi avez vous décidé de vous auto-éditer ?
Parce que Bill le faisait et qu’il me semblait que c’était ça "être un artiste". Le côté immédiat. Et puis, je voulais faire des livres en couleurs et aucun éditeur au début ou au milieu des années 90 ne vous laissait faire de la couleurs partielle ou intégrale. Je me souviens en avoir parlé à Ron Turner de Last Gasp. Je travaillais pour Frank Kozik et il louait un espace dans l’immeuble de Last Gasp à San Francisco et je lui ai montré mes zines en couleurs. Il a dit que c’était génial mais qu’il ne pouvait pas m’aider parce que faire un livre en couleurs serait très coûteux. Il m’a encouragé à continuer tout seul, il disait que les livres que je fabriquais, étaient mieux réalisés que ce qu’ils pouvaient faire à un prix abordable. Il est difficile de se rappeler à quel point l’impression couleurs était coûteuse à l’époque. Ainsi, vous pouviez créer des magazines en couleurs sur certaines machines ou avec certaines imprimantes et créer des livres plus beaux que tout autre éditeur de bandes dessinées. Il est également difficile de se rappeler que tous les travaux alternatifs ou indépendants dans les années 90 étaient en noir et blanc et à moins que vous n’ayez des ventes élevées, vous n’aviez pas droit à la couleur.
Quelle est la meilleure partie dans l’auto-édition ? Fabriquer le récit, fabriquer le livre, la rencontre avec le public, la participation à une communauté ?
Je ne sais pas. Ça fait beaucoup de questions. Je pense qu’il y a un certain glamour autour de l’auto-édition. La plupart d’entre nous veulent avoir de vrais éditeurs et la plupart d’entre nous ont toujours voulu avoir de vrais éditeurs. Donc, bien sûr, faire une histoire et la produire comme on le souhaite et s’en occuper à toutes les phases de production et d’impression est génial, mais je le fais aussi avec mes livres pour mon "vrai" éditeur. Mais la distribution des bandes dessinées et la rencontre avec les lecteurs est aussi une chose importante bien sûr. Et épuisant. Il y a beaucoup trop de festivals maintenant. La culture du festival "small press" a vraiment pris de l’ampleur en Amérique du Nord. Lorsque j’ai commencé l’auto-édition, il n’y avait pas de festivals et c’était surtout de la fabrication et les échanges par la poste. Maintenant, cela ressemble un peu plus à un groupe de soutien des Alcooliques Anonymes mélangé à un marché aux puces géant. Beaucoup de manutention. Surtout ici, en Amérique du Nord, les festivals se sont divisés en salons grand public et en salons alternatifs avec peu de choses entre les deux. Je préfère de loin les festivals de bande dessinée grand public aux festivals indés en ce moment. En fait, je vends plus dans les festivals mainstream parce que je suis souvent l’un des seuls artistes de BD alternatifs, alors je reste. À mon avis, de nos jours il y a plus de créateurs de bandes dessinées "small press" que d’acheteurs ou lecteurs de bandes dessinées "small press".
Quelle est votre meilleure expérience d’auto-édition ?
Ma meilleure expérience d’auto-édition a été lorsque j’ai commencé à laisser des exemplaires de mes bandes dessinées au format tabloïd dans les salles de cinéma, les librairies, les cafés, partout où je pouvais passer à San Francisco. Dans les bus. C’était en 1995. Je voyais des gens les lire dans les bus. Et je pense que parce que c’était au format d’un journal, il y avait moins de honte à lire une bande dessinée ou un mini-comic. À cette époque, les journaux hebdomadaires étaient très populaires. San Francisco avait deux journaux hebdomadaires que tout le monde lisait tout le temps pour voir quels films passaient ou quels groupes jouaient. C’était comme Internet. Donc, je laissais mes bd au format journal partout où se trouvaient ces journaux gratuits et c’était pratiquement partout. Donc, aller à une séance avec un double programme de polars dans la magnifique salle Movie Palace de Castro, s’asseoir au premier rang et voir pratiquement tout le public en train de lire votre bande dessinée en attendant que le film commence, est sûrement la sensation la plus forte que j’ai ressentie à l’époque - et ça reste ma meilleure histoire d’auto-édition.
Est-ce que l’auto-édition vous coûte de l’argent, vous rapporte, ou a un bénéfice nul ?
J’aime dire qu’auto-éditer son propre livre revient à prendre 1.000 dollars et à les jeter depuis un pont.
Êtes-vous un éditeur ou un distributeur pour le travail d’autres personnes ? Si oui, comment est-ce arrivé ?
Non, merci mon Dieu. J’ai renoncé à le faire une fois que je me suis rendu compte que j’avais jeté près de dix mille dollars depuis des ponts en publiant divers projets peu judicieux pour le compte d’autres personnes.
Quel rôle joue les salons et les conventions de micro-édition dans votre pratique de l’auto-édition ?
Je pourrais dire qu’ils sont un lieu de réseautage, de rencontres et de ventes. Cependant, je réponds à cette question à un moment où je suis très fatigué d’avoir fait pratiquement chaque convention de bande dessinée indé en Amérique du Nord au cours des 10 dernières années. J’ai commencé à remarquer que ce n’est bon que pour vendre de vieilles bandes dessinées de collection. Je peux y rencontrer des gens qui s’intéressent à mon travail, mais pour la plupart, les gens sont très heureux de voir que je vends autre chose que mes mini-comics. Je choisis de vendre de vieilles bd mainstream dans les salons indés parce que je suis la seule personne dans la salle à vendre de vieilles bandes dessinées, alors les fans de bd grand public qui n’aiment pas trop la bd indé, viennent à mon stand et dépensent de l’argent. Nous avons essayé de faire plus de sensibilisation au niveau local et d’organiser des ateliers et autres activités dans le cadre de conventions sur les bandes dessinées afin de trouver des personnes partageant les mêmes idées. Mais c’est difficile parce que, comme je l’ai dit, la culture des festivals a pris le dessus et se limite au plus petit dénominateur commun. Heureusement, j’ai des étudiants qui prendront ma place dans des foires surpeuplées pour présenter leur travail. Maintenant, je reste assis au bar jusqu’à ce que ce soit fini et je ramène ensuite les enfants à la maison, comme un grand-père grincheux.
Gardez vous une archive de vos fanzines ? Comment les conservez-vous ?
J’essaie, mais beaucoup de mes amis ont une collection de mon travail plus complète que la mienne. Mais je les mets sous pochette plastique avec un dos en carton, comme c’est la pratique en Amérique du Nord.
Où imprimez-vous vos fanzines ? Est-ce que vous passez par un imprimeur ou chez un copy-shop ?
Les deux. Le top c’est d’utiliser des presses géantes utilisées pour les journaux. C’est vraiment amusant d’être au calage dans ce cas-là. Et les gars qui travaillent chez ces imprimeurs sont généralement très heureux de bosser sur une bande dessinée. Les photocopieurs sont de plus en plus difficiles à utiliser. Kinkos - une célèbre chaine de magasins de copie ouverts 24h sur 24 - a finalement cessé d’être ouvert 24 heures l’an dernier. Ce n’est pas gênant, parce que faire des bandes dessinées dans les magasins est devenu de plus en plus difficile. Ils ne veulent pas que vous chargiez le papier dans la machine pour faire des copies recto-verso ou autre. Il est très difficile d’enseigner l’art de la photocopie à la nouvelle génération, car les machines ne sont tout simplement plus aussi accessibles qu’avant. J’ai même possédé quelques machines classiques mais une fois que les constructeurs ont cessé de fabriquer des pièces ou de l’encre pour la machine, vous êtes dans la mouise.
Est-ce que vous lisez beaucoup de zines et de mini-comics ?
Non, merci mon Dieu. Mais je ne peux pas m’empêcher de les connaître par mon travail, donc si quelque chose de bien arrive, je vais toujours le lire. En tant que personne ayant prêté attention à de nombreuses bandes dessinées depuis 30 ans, je dois dire que la qualité n’a pas augmenté avec la quantité. Il y a plus de merde maintenant, ce n’est pas forcément mieux.
Est-ce que vous pensez que votre pratique de l’auto-édition est lié à votre situation géographique ? à l’organisation du marché de la bande dessinée aux USA ?
Je pense que c’était plus lié autrefois. C’est peut-être encore le cas. Le genre de travail que je voulais faire dans les années 90 , je ne pouvais pas le faire à Pittsburgh. Il y avait une scène beaucoup plus tolérante pour les bandes dessinées "arty" à San Francisco à l’époque bien sûr, grâce à l’underground. Pittsburgh était plus une ville de genre. Donc, à Pittsburgh à l’époque, si vous faisiez de l’auto-édition, vous publiiez vous-même des bandes dessinées du type Teenage Mutant Ninja Turtle. Vous ne faisiez pas "King Cat". C’est toujours comme ça maintenant. Vous en savez peut-être plus à propos d’Internet, mais cela ne signifie pas que, dans des régions comme Pittsburgh, vous avez une grande communauté de lecteurs ou d’éditeurs. C’est toujours une ville de genre. Vous pouvez prendre un stand au petit festival "small press" ici à Pittsburgh avec les 30 autres personnes qui ont créé des mini comics, mais il n’y aura personne pour acheter vos bandes dessinées car les 30 personnes qui achètent des mini-comics à Pittsburgh sont déjà tous là, essayant de vendre leur propre merde. Si vous voulez faire du mini-comic en Amérique du Nord et faire partie de nombreux créateurs de mini-comic, vous devez vous rendre sur les côtes ou à Chicago.
Edition
Quel a été votre premier éditeur ? Connaissaient-ils votre travail grâce à l’auto-édition ?
Bill Boichel de Copacetic Comics, ici à Pittsburgh. Son magasin s’appelait "BEM" à l’époque. Il a publié ma première BD à l’âge de 16 ans. Plus tard, Dan Nadel de PictureBox, est devenu mon "vrai" éditeur et Dan a envoyé les exemplaires de son premier livre par la poste à l’âge de 16 ans, quand moi j’en avais 23. Donc on peut dire que mon premier éditeur me connait grâce à l’auto-édition, oui.
Avez-vous continué à autopublier depuis ? Pourquoi ?
Bien sûr. C’est juste naturel. C’est comme être un peintre ou un poète. C’est comme demander "pourquoi faire un livret de vos poèmes ?"
Allez-vous continuer à auto-éditer dans les prochaines années ?
Bien sûr.
Pour vos livres qui sont passés de l’auto-édition à l’édition, quelles questions de remontage ou de format se sont posés ? Comment voyez-vous la relation entre les deux ?
Je ne fais pas ça. Je conçois chaque objet comme un livre en soi. Par exemple, je ne fais pas de mini-comic pour qu’il serve de test pour un livre relié. Je fais soit un mini comic, soit une bande dessinée mainstream, soit un roman graphique. Ce sont des choses distinctes. Les mini-comics ne sont pas inférieures aux livres proprement dits, tout comme le recueil miméographié d’un poète n’est pas inférieur à une édition posthume à couverture rigide et au dos toilé. Si je réimprime l’édition auto-publiée en tant que nouveau livre, j’essaie de présenter le nouveau livre comme un complément sur l’objet original, presque comme on présente une antiquité dans un catalogue.
L’exposition
Vous pouvez nous parler des travaux que l’on peut voir dans l’exposition ?
Eh bien, au lieu de parler un peu de beaucoup de choses, j’aimerais parler beaucoup d’un petit livre. J’ai fait un zine appelé "SIRK". Et j’en étais au quatrième numéro. Il était composé de petits dessins de paysages que j’avais fait dans mon cahier et de petites observations faites ici et là. Je l’ai fait très rapidement et simplement sur la machine xerox et je pense maintenant que c’était vraiment la puissance de cette forme d’expression. C’était une sorte de proto blog . Quand je montre mes vieux zines avec du texte et de l’image mélangés, mes amis aujourd’hui disent souvent « ça ressemble à ton blog ». Et quand je pense à ce moment au milieu des années 90 où j’étais vraiment enthousiasmé par l’auto-édition de mini-comics, je pense avec émotion à celui-ci en particulier. C’était comme le genre de chose qu’aucun éditeur ne ferait jamais. Un livre de croquis de paysage, de petites notes et de dessins, mais il compte encore beaucoup pour moi et c’est devenu l’un de mes trucs préférés que j’ai jamais fait. J’aimerais avoir fait un million de posts de blog comme celui-ci. Pour nous, dans la Bay Area, le héros était Aaron Cometbus. Il avait un zine qui était comme un CNN punk de la baie. Nous correspondions par courrier à travers la baie et nous ne nous étions jamais rencontrés jusqu’à ce que nous déménagions tous les deux à New York. Il a vraiment aimé ce numéro de "Sirk". C’est là que j’ai trouvé ma "voix de paysages". J’ai reçu beaucoup de courrier à ce sujet. Je veux dire, peut-être comme trois ou quatre cartes postales, c’est rien comparé aux likes ou commentaires d’aujourd’hui sur un post Instagram. Mais c’était comme ça que tu interagissais avec les gens. Par le courrier. C’est la culture du fanzine. Il y avait beaucoup de gens que je connaissais comme ça à cette époque. Les zines et les mini-comics étaient vraiment comme Internet sous forme embryonnaire à l’époque - et je pensais que le genre de bandes dessinées que je faisais avec ce numéro de "Sirk" en particulier, était exactement le genre de choses que je devais faire alors pour participer à cette scène du zine. Je suis vraiment fier de celui-ci. Bien sûr, je suis fier des autres choses, mais je pense que ce qui définit un mini-comic est un pont très étroit, et je pense que c’est un bon mini-comic.