Interview de Gregory Benton
Biographie
Où êtes vous né et où vivez-vous aujourd’hui ?
Je suis né et je vis à New York. J’ai passé une partie de mon adolescence dans cette banlieue paumée qu’on appelle le New Jersey. De plus, j’ai passé une année très importante artistiquement à Prague quand c’était encore la Tchécoslovaquie.
Quelles sont les maisons d’édition “small press” et plus officielles avec lesquelles vous avez collaboré ? Ou avez vous fait de l’auto-édition, avec un nom de structure ?
Çà et là (FR) et Adhouse Books (USA) pour mon livre B + F. Je me suis auto-édité sous plusieurs labels : Publishing (ca.1995-2011), Hang Dai Editions (2012-2016) et actuellement Aleo Press. J’ai eu des travaux publiés par Fantagraphics, Vertigo, DC Comics, United Plankton (Spongebob Comics). J’ai fait mes débuts dans l’anthologie de bande dessinée politique World War 3, Illustrated. Au milieu des années 2000, j’ai même dessiné des planches pour des manuels scolaires !
Comment avez-vous appris votre métier d’auteur ?
La première fois que j’ai vu une bande dessinée, je devais avoir 5 ou 6 ans (c’était un numéro de Captain America combattant Crâne Rouge), je me suis dit : "C’est comme ça que les gens devraient se parler". Pas de dialogues, mais des histoires racontées à travers des images. Je suis rentré à la maison ce soir-là et j’ai dessiné ma propre bande dessinée Captain America versus Crâne Rouge. Mais j’ai commencé sérieusement au lycée en allant à des conventions de bande dessinée et en discutant avec des artistes. Pour mes études universitaires, je suis allé à la Rhode Island School of Design (RISD) dans le département illustration. Il n’y avait pas de cours de BD à l’époque, mais il y avait un groupe d’étudiants intéressés par la bande dessinée comme forme d’art. Nous formions une sorte de club : nous dessinions, échangions des idées et mangions des spaghettis carbonara cuisinés par un autre étudiant, Jason Lutes. Il a rassemblé plusieurs anthologies regroupant nos bandes dessinées sous le titre Penny Dreadful. C’était peu de temps avant que les gars de Fort Thunder n’arrivent au RISD et secouent le monde du comix alternatif.
Après mes études universitaires, j’ai vécu à Prague et y ai illustré deux des journaux anglais de la ville, The Prague Post et son rival Prognosis. J’ai beaucoup appris en voyant mon travail imprimé semaine après semaine. Cela m’a aidé à reconnaître ce qui était bon dans mon dessin et ce qui ne l’était pas, en terme de qualité de reproduction. Pendant tout ce temps, je faisais des mini-comics là-bas. Je crois que mon premier livre en accordéon fait à la main "CRAZY" est présenté dans l’exposition. Il a été fait à Prague. À mon retour aux États-Unis, j’ai commencé à faire des illustrations pour The Village Voice, The New York Times et à dessiner des bandes dessinées pour "World War 3 Illustrated" et DC Comics.
Vivez-vous de votre art, sinon comment faites-vous pour tenir le coup ?
Aux États-Unis, il est extrêmement difficile de vivre uniquement des bandes dessinées que j’aime faire. Alors que la forme artistique est en plein essor, l’industrie est réticente à soutenir tout ce qui n’est pas mainstream, c’est-à-dire du comic de super-héros, basé sur une série télévisée ou une franchise. Cela dit, cela peut faire partie de votre "catalogue de savoir-faire", à côté de choses comme l’enseignement (j’enseigne le dessin à la Parsons School of Design à New York), de cours magistraux, le dessin animé, l’illustration ou les bandes dessinées de commande. De mon côté, j’ai aussi eu la chance, jusqu’à récemment, de travailler dans l’entreprise familiale.
Auto-édition
Par qui/comment s’est fait votre premier contact avec la scène de l’auto-édition ?
Il y avait un groupe de gens : Robbie Busch, Stephen DeStefano, Evan Dorkin, Mark Badger et Kyle Baker. Ils avaient un gang (Robbie était un camarade de lycée qui m’a présenté les autres) et ils m’ont toléré comme mascotte presque tous les jours. Nous avons auto-publié une anthologie photocopiée intitulée "Toy Piano". Plus tard, ils ont réalisé une mini-série pour Dark Horse, "Instant Piano", qu’ils m’ont laissé profaner avec une page dans le dernier numéro. Trouvez-la, il y dedans de la très bonne bande dessinée indé du début des années 1990.
Pourquoi avez vous décidé de vous auto-éditer ?
DIY or Die ! C’était le seul moyen d’obtenir de montrer du travail personnel au début. Lorsque vous vous rendez compte que tout ce dont vous avez besoin est une machine Xerox ou une sérigraphie (ou une imprimante couleur / Risograph ces jours-ci), le monde est à vous. Faites ce que vous voulez, quand vous le voulez.
Quelle est la meilleure partie dans l’auto-édition ? Concevoir le récit, fabriquer le livre, la rencontre avec le public, la participation à une communauté ?
Bien que j’adore dessiner, c’est pour moi la partie la plus difficile ! Avant de commencer à dessiner, je réfléchis à ce que sera le format du livre : accordéon, piqûre à cheval, plié d’une page, sérigraphie, peu importe. Après le dessin, j’aime la phase presque méditative de l’ingénierie, l’impression et l’assemblage du livre.
Quelle est votre meilleure expérience d’auto-édition ?
Cela doit être le MoCCA Arts Festival de 2013. J’ai réalisé un « mini-comic » surdimensionné (environ 25x38cm) de 20 pages appelé B + F pour le festival. Il a remporté le prix d’excellence du festival de la Society of Illustrators. Chris Pitzer d’Adhouse Books avait un stand de l’autre côté de l’allée. Nous avions essayé de faire un projet ensemble pendant des années et il a aimablement ajouté "B + F" à sa liste. J’avais toujours prévu de continuer l’histoire, alors nous avons accepté de faire une version développée ensemble. Chris en a parlé à Serge Ewenczyk des éditions çà et là, et Serge a eu la gentillesse d’inclure "B + F" à son programme éditorial également.
Est-ce que l’auto-édition vous coûte de l’argent, vous rapporte, ou a un bénéfice nul ?
Calculé sur le long terme, c’est probablement tout juste rentable. Mais cela dépend de l’année et du projet. Ces jours-ci, dans les festivals, je rembourse au moins mes dépenses, parfois j’achète une nouvelle paire de chaussures pour mon gamin.
Quel rôle jouent les salons et les conventions de micro-édition dans votre pratique de l’auto-édition ?
J’essaie d’avoir quelque chose de nouveau pour chaque convention. Si je ne peux pas avoir un mini-comic fait pour l’occasion, je vais au moins fabriquer un portfolio ou des cartes postales ou des badges… quelque chose lié à mes comix.
Gardez vous une archive de vos fanzines ? Comment les conservez-vous ?
Je n’archive pas tous mes mini-comics. Si je vends tout pendant un salon, je ne garde pas toujours une copie pour moi.
Où imprimez-vous vos fanzines ? Est-ce que vous passez par un imprimeur ou chez un copy-shop ?
J’essaie d’imprimer et d’assembler les livres moi-même dans mon atelier. Il y a des cas où je les envoie dans une imprimerie. Par exemple, le livre "CROMAG" qui se trouve dans l’exposition, a la forme d’un livre pour enfants. Je ne serais pas capable de le faire moi-même, alors dès le début, l’idée était de le faire imprimer à l’extérieur.
Est-ce que vous lisez beaucoup de zines et de mini-comics ?
J’échange beaucoup de mini-comics lors de conventions et je les apprécie tous !
Est-ce que vous pensez que votre pratique de l’auto-édition est lié à votre situation géographique ? à l’organisation du marché de la bande dessinée aux USA ?
D’après ce que je sais, il y a peu de place pour les bandes dessinées et les zines auto-édités dans la hiérarchie traditionnelle des librairies spécialisées bandes dessinées ou chez les librairies généralistes. Heureusement, à New York, il existe plusieurs magasins qui embrassent le genre et y sont très favorables.
Edition
Quel a été votre premier éditeur ? Connaissaient-ils votre travail grâce à l’auto-édition ?
Mes premières bandes dessinées publiées l’ont été dans le magazine "World War 3 Illustrated". J’ai été assistant du dessinateur Peter Kuper. Il m’a pris sous son aile et m’a donné l’occasion de participer à son anthologie de bande dessinée politique. Lorsque j’ai passé un entretien pour le poste avec Peter, une grande partie du travail que je lui ai montré, était des mini-comics, ainsi que des illustrations que j’avais faites pour des journaux à Prague, pour le New York Times et The Village Voice. Peu de temps après, j’ai commencé à travailler pour DC Comics sur leur série de livres "Big Book". J’ai eu ce job en montrant aux éditeurs des mini-omics, des pages faites pour "World War 3 Illustrated" et des dessins. Mon premier album, "HUMMINGBIRD", a été publié par Slave Labour Graphics en 1996.
Avez-vous continué à autopublier depuis ? Pourquoi ?
Toutes mes créations démarrent parce qu’il y a du plaisir à créer ces livres, vraiment. Je n’ai pas d’autres attentes.
Allez-vous continuer à auto-éditer dans les prochaines années ?
Absolument.
Pour vos livres qui sont passés de l’auto-édition à l’édition, quelles questions de remontage ou de format se sont posés ? Comment voyez-vous la relation entre les deux ?
J’essaie d’apporter mon esthétique de l’un à l’autre. J’ai un style idiosyncratique, donc je ne pense pas pouvoir l’empêcher de se répandre dans toutes les disciplines.
L’exposition
Vous pouvez nous parler des travaux que l’on peut voir dans l’exposition ?
Tout ce travail a été fait pour l’amour de la bande dessinée, de l’art et ce besoin de créer quelque chose. Que je trouve ou non un public ne constituait pas une préoccupation majeure pour moi, même si, naturellement, j’espère toujours que les gens apprécieront mon travail. Les pages présentées dans "FORCE OF NATURE" et la première version "mini-comic" de "B + F" étaient des commandes que je m’étais passé à moi-même. Le plus important est de sortir l’idée de ma tête et de l’atelier. Je pense que je partage ça avec de nombreux artistes de cette exposition.