Interview de Jordan Crane
Biographie
Où êtes vous né et où vivez-vous aujourd’hui ?
Je suis né à Los Angeles et y ai vécu jusqu’en 1998, date à laquelle j’ai déménagé à Boston. À Boston, j’ai rencontré Tom Devlin et j’ai travaillé avec lui pour publier des bandes dessinées et aller dans des festivals. Grâce à lui, j’ai rencontré de nombreux dessinateurs de la région. J’ai d’abord rencontré Ron Rege, Megan Kelso, puis Ben Jones et C.F. Ensuite, j’ai rencontré Brian Ralph. Par l’intermédiaire de Brian, je me suis rendu à Fort Thunder pour faire de la sérigraphie, puis j’ai rencontré Brian Chippendale et Mat Brinkman. Boston a eu énormément d’influence et les dessinateurs que j’y ai rencontré, ont façonné en grande partie mon approche de la bande dessinée. Puis en 2000, je suis retourné à Los Angeles, où je me suis établi. Au début, lorsque je suis retourné à Los Angeles, il y avait très peu de dessinateurs vivant ici. John Pham et Sammy Harkham étaient les seuls que je connaissais. Mais au fil des ans, de plus en plus de dessinateurs y ont déménagé. Ron Rege, Steve Weissman, Johnny Ryan. Ensuite, j’ai connu Jaime Hernandez, qui était là depuis toujours, et cela a été une énorme rencontre pour mon histoire personnelle et mon travail actuel. Los Angeles compte actuellement beaucoup d’auteurs dans la ville et j’ai vraiment de la chance de partager leur compagnie.
Quelles sont les maisons d’édition “small press” et plus officielles avec lesquelles vous avez collaboré ? Ou avez vous fait de l’auto-édition, avec un nom de structure ?
Au début, j’ai publié sous le nom Red Ink, puis je suis passé à Reddingk. J’ai aussi travaillé en étroite collaboration avec Highwater Books à la fin des années 1990. En 2004, j’ai travaillé avec Fantagraphics, ils publient toujours mes livres et mes bandes dessinées aujourd’hui. En fait, tout ce qui est imprimé en offset, c’est Fantagraphics qui le fait. Pendant un certain temps (2010-2013), j’ai mis en place un site web collaboratif de bandes dessinées intitulée What Things Do. Ça a fini par devenir une trop lourde responsabilité pour moi et je l’ai fermé pour disposer de plus de temps pour travailler sur mes bandes dessinées. J’ai également collaboré avec Sammy Harkham, sur divers projets d’édition. Je continue à publier de petites éditions de bandes dessinées avec des couvertures sérigraphiées et des intérieurs photocopiés.
Comment avez-vous appris votre métier d’auteur ?
Au fil de nombreuses années à faire des bandes dessinées. J’ai appris par la pratique. Des heures sur une chaise avec de l’encre sur les mains.
Vivez-vous de votre art, sinon comment faites-vous pour tenir le coup ?
Les bandes dessinées ne paient pas mes factures. Je fais des sérigraphies, et cela me permet de gagner de l’argent. J’en gagne aussi ici et là avec les trucs habituels comme des illustrations ou des travaux de commande. La plupart du temps, c’est le travail de ma femme qui paie les factures.
Auto-édition
Par qui/comment s’est fait votre premier contact avec la scène de l’auto-édition ?
J’ai commencé l’auto-édition avant de connaître quelqu’un dans le monde de la bande dessinée. Après ce premier livre, "NON n°1", j’ai commencé à rencontrer des gens. La toute première personne à entrer en contact avec moi était Tom Devlin, puis après Brian Ralph, et le reste de Fort Thunder à Providence dans le Rhode Island. La scène de la côte Est à la fin des années 1990 était très inspirante.
Pourquoi avez vous décidé de vous auto-éditer ?
Parce que personne ne voulait me publier et que je voulais faire partie du monde de la bande dessinée. À l’époque, je gagnais assez d’argent avec mon travail alimentaire pour pouvoir mettre de l’argent de côté et financer un livre. Donc je l’ai fait. C’était pour moi une façon de forcer le destin et faire partie du monde de la bande dessinée.
Quelle est la meilleure partie dans l’auto-édition ? Fabriquer le récit, fabriquer le livre, la rencontre avec le public, la participation à une communauté ?
Ce que je préfère dans l’auto-édition est que je peux faire le livre exactement comme je le veux. Rêver le livre et le faire. J’aime aussi pouvoir donner aux gens un livre contenant mon travail récent, que ce soit à des éditeurs ou à des amis.
Quelle est votre meilleure expérience d’auto-édition ?
Ma meilleure expérience d’auto-édition a également été la pire : le "NON no.5". C’était un énorme paquet de trois livres avec un insert en carton et une couverture géante autour, en sérigraphie. J’ai réalisé l’essentiel de la production du paquet final, toute la production a occupé mon salon pendant des mois. J’ai perdu de d’argent sur les frais de port et des erreurs d’impression. Mais c’était exactement le livre que je voulais faire, j’en ai fait 2000 exemplaires, et ça a pris un an de ma vie. Quelle époque !
Est-ce que l’auto-édition vous coûte de l’argent, vous rapporte, ou a un bénéfice nul ?
Au moment où j’ai cessé de publier des livres imprimés en offset, mon dernier projet avait été "NON n° 5" et j’avais un peu plus de 20 000 $ de dettes. J’ai fait beaucoup d’erreurs au cours de la réalisation de ce livre et elles se sont accumulées au cours de l’année de production. Je suis toujours aujourd’hui sans explication sur les raisons qui m’ont poussé à m’endetter autant pour faire ce livre. Je suis mauvais en comptabilité, je suppose que cela a quelque chose à voir avec tout ça.
Êtes-vous un éditeur ou un distributeur pour le travail d’autres personnes ? Si oui, comment est-ce arrivé ?
Sur mon site web whatthingsdo.com, je distribue également le travail d’autres personnes. Pour la même raison que lors de ma première expérience en ligne : c’est pas mal de travail pour mettre en place une boutique en ligne, et une fois qu’elle existe, autant aussi inclure d’autres personnes. C’est aussi un bon moyen pour moi de rester en contact avec les auteurs et de les soutenir d’une manière ou d’une autre.
Quel rôle joue les salons et les conventions de micro-édition dans votre pratique de l’auto-édition ?
Ils étaient une source de revenus, mais depuis 2008 environ, il semble que les gens n’ont plus d’argent à dépenser. De plus, j’ai une famille maintenant, alors je ne vais plus autant aux conventions. Quand les enfants iront à l’école, j’imagine que je referai plus de festivals.
Gardez vous une archive de vos fanzines ? Comment les conservez-vous ?
Je conserve quatre exemplaires de chaque chose que je publie, sur le dessus d’une étagère. Ce n’est pas le meilleur endroit pour l’archivage, maintenant que j’y pense.
Où imprimez-vous vos fanzines ? Est-ce que vous passez par un imprimeur ou chez un copy-shop ?
J’imprime moi-même les couvertures, et mon magasin de photocopie local imprime l’intérieur. Ensuite, je les agrafe et les plie, les ramène à la photocopieuse et les rogne. J’adore que les bords d’un mini-comic soient bien nets, ça donne un bien meilleur résultat.
Est-ce que vous lisez beaucoup de zines et de mini-comics ?
J’en lis tous les mois. Je ramasse tout ce qui est nouveau dans la librairie du coin et chaque fois que je vais à un festival, je reviens avec un tas de choses.
Est-ce que vous pensez que votre pratique de l’auto-édition est lié à votre situation géographique ? à l’organisation du marché de la bande dessinée aux USA ?
Je ne pense pas que cela soit lié à ma situation géographique. Je pense que cela existe aussi en dehors du "marché de la bande dessinée" et que cela me plait beaucoup. Les mini-comics sont un moyen pour les artistes de créer et de partager leur travail sans se soucier de la valeur économique de leur travail.
Edition
Quel a été votre premier éditeur ? Connaissaient-ils votre travail grâce à l’auto-édition ?
Mon premier éditeur, à part moi-même, est celui qui m’édite encore aujourd’hui : Fantagraphics. Ils ont connu mon travail à travers les comics de mon récit "Keeping Two". En 2002, Gary Groth (éditeur chez Fantagraphics) voulait publier "Keeping Two", mais je ne l’avais pas encore fini (j’y travaille encore, il est presque fini), du coup je lui ai proposé une autre histoire, il a accepté, et ils sont mon principal éditeur depuis.
Avez-vous continué à autopublier depuis ? Pourquoi ?
Tout d’abord, j’adore le toucher d’un mini-comic. J’adore les faire et j’adore les échanger. Au-delà de cela, l’auto-publication, est un excellent moyen pour moi de voir mon travail sous une forme plus ou moins complète. Il m’arrive souvent de publier un mini-comic, puis environ un mois plus tard, de le lire avec de nouveaux yeux et de trouver toutes sortes de possibilités d’amélioration. Pas mal d’histoires ont changé entre la version en mini-comic et la version que je publie dans "Uptight".
Allez-vous continuer à auto-éditer dans les prochaines années ?
La prochaine chose que je vais publier est la septième partie et conclusion de mon roman graphique "Keeping Two". La sortie est prévue pour avril 2019.
Pour vos livres qui sont passés de l’auto-édition à l’édition, quelles questions de remontage ou de format se sont posés ? Comment voyez-vous la relation entre les deux ?
Je n’ai jamais arrêté de publier des mini-comics, je publierai toujours le mini-comic d’une histoire que j’ai finie récemment, à condition que ce soit un livre d’une vingtaine de pages. Généralement le mini-comic est la première version de l’histoire, la version imprimée en offset subit généralement des modifications au niveau du récit.
L’exposition
Vous pouvez nous parler des travaux que l’on peut voir dans l’exposition ?