Interview de Sophie Yanow
Biographie
Où êtes vous né et où vivez-vous aujourd’hui ?
Je suis née à Marin County, en Californie, juste au nord de San Francisco. J’ai grandi dans le comté rural de Marin. Je suis allé à l’université en Californie et à 23 ans, j’ai vécu brièvement à Seattle en tant que stagiaire chez Fantagraphics Books. Après cela, j’ai déménagé à Montréal pour une résidence d’artiste à La Maison de la Bande Bessinée, où j’ai commencé à faire des comics avec l’éditeur Colosse. Montréal a été extrêmement formateur pour moi. Après cela, j’ai vécu quatre ans dans le Vermont, d’abord en tant que boursière du Center for Cartoon Studies, puis en tant qu’étudiante, et finalement j’ai été professeure au cours des deux dernières années. Je viens de rentrer en Californie en juillet.
Quelles sont les maisons d’édition “small press” et plus officielles avec lesquelles vous avez collaboré ? Ou avez vous fait de l’auto-édition, avec un nom de structure ?
J’ai été éditée chez Colosse, Uncivilized Books, La mauvaise tête et Retrofit/Big Planet.
Comment avez-vous appris votre métier d’auteur ?
Je dessinais beaucoup de BD quand j’étais petite. J’ai dessiné une BD sur Sonic the Hedgehog, puis j’en ai réalisé d’autres avec mes propres personnages, largement inspirés de Calvin et Hobbes. J’ai aussi collaboré avec des amis pour réaliser des petits récits. J’ai lu beaucoup de super bandes dessinées alternatives au lycée (quand j’ai découvert Gabrielle Bell, Moebius et Jason Lutes), mais je n’en ai plus vraiment fait avant la moitié de mes études aux Beaux-Arts. Ensuite, je me suis vraiment concentrée là-dessus et j’ai passé autant de temps que je pouvais à faire des bandes dessinées. J’ai commencé par essayer de faire de la science-fiction, puis des comics dans la veine fantastique. Cela n’a pas été facile pour moi jusqu’à ce que je m’essaie à la bande dessinée autobiographique.
Vivez-vous de votre art, sinon comment faites-vous pour tenir le coup ?
Je n’ai jamais complètement gagné ma vie grâce à mes bandes dessinées, mais cela a été une combinaison de différents boulots entre bande dessinée et graphisme, d’enseignement de la bande dessinée ou d’un travail à temps partiel dans une librairie ou un café. Depuis le collège, je vis avec le moins d’argent possible pour pouvoir consacrer le plus de temps possible à la bande dessinée.
Auto-édition
Par qui/comment s’est fait votre premier contact avec la scène de l’auto-édition ?
Probablement lors de l’Alternative Press Expo (APE) à San Francisco. Ce n’était qu’a une demi-heure de chez moi quand j’étais petite. J’y ai vu beaucoup de gens qui vendaient des bandes dessinées fabriquées à la main. Il me semblait évident que je le ferais aussi, au moins pour commencer. La différence entre une bande dessinée publiée et une bande dessinée auto-publiée semblait très petite. Deux de mes zines préférés de cette époque étaient "Hey Four Eyes" (un zine sur les lunettes) de Robyn Chapman et le "1UP Megazine" (un zine sur les jeux vidéo).
Pourquoi avez vous décidé de vous auto-éditer ?
Ça m’a toujours semblé être une chose évidente. Je suis assez jeune pour que le phénomène du zine ait été bien implanté quand j’ai été adolescente. J’ai fait un zine avec deux de mes amis au cours de ma dernière année de lycée et nous l’avons vendu à une table lors de l’A.P.E. (nous avons chacun payé).
Quelle est la meilleure partie dans l’auto-édition ? Fabriquer le récit, fabriquer le livre, la rencontre avec le public, la participation à une communauté ?
Je pense que c’est ce moment où les gens viennent à la table et disent : "Ça me parle !". C’est génial de faire quelque chose qui inspire les gens, et qu’ensuite ils peuvent facilement faire à leur tour. J’adore pouvoir expliquer tout le processus de fabrication d’un minicomic en moins de 30 minutes.
Quelle est votre meilleure expérience d’auto-édition ?
J’ai adoré collaborer avec Colosse, parce qu’ils font de l’auto-édition, mais au sein d’un collectif d’auteurs. Le label n’est pas très actif en ce moment, mais quand j’étais à Montréal, si vous étiez membre de notre studio de dessin, vous pouviez faire des choses sous le label "Colosse" mais en payant vos propres impressions. Il n’y avait pas vraiment d’éditeur qui vous disait ce que vous pouviez faire ou non. Jimmy Beaulieu a fondé Colosse, mais lorsque j’étais là-bas, c’était surtout Vincent Giard qui coordonnait les choses (en aidant les gens à concevoir leurs livres, en montant des événements et des choses comme ça).
Est-ce que l’auto-édition vous coûte de l’argent, vous rapporte, ou a un bénéfice nul ?
Si on se bouge à fond, on peut gagner de l’argent. Il faut choisir des festivals à faible coût ou envoyer beaucoup de fanzines pa la poste, mais il est tout à fait possible de gagner de l’argent !
Êtes-vous un éditeur ou un distributeur pour le travail d’autres personnes ? Si oui, comment est-ce arrivé ?
J’ai édité un petit collectif à propos de la sieste une fois, mais c’est tellement loin !
Quel rôle joue les salons et les conventions de micro-édition dans votre pratique de l’auto-édition ?
J’aime aller aux conventions parce que j’aime rencontrer des gens. Je ne vends pas particulièrement bien aux personnes qui n’ont pas déjà lu mes trucs, car il se trouve que mes dessins ne sont pas très "spectaculaires", et je ne suis pas douée pour serrer les mains et convaincre les gens d’acheter mes trucs. Mais si c’est une convention où les gens me connaissent déjà, je vends assez pour que ce soit rentable. Ce n’est pas le cas à chaque fois, évidemment.
Gardez vous une archive de vos fanzines ? Comment les conservez-vous ?
Je les garde juste rangés dans ma bibliothèque.
Où imprimez-vous vos fanzines ? Est-ce que vous passez par un imprimeur ou chez un copy-shop ?
Pour les zines agrafés, j’essaie de les préparer pour pouvoir les imprimer dans n’importe quel magasin de photocopies. Pour la couverture de "In Situ", j’ai besoin d’un stock de couleurs pour la couverture mais c’est tout.
Est-ce que vous lisez beaucoup de zines et de mini-comics ?
Oui ! Beaucoup de mes dessinateurs préférés font encore des mini-comics même s’ils ont maintenant des éditeurs : Noah Van Sciver, Michael Deforge, Mickey Z et Sophia Foster-Dimino.
Est-ce que vous pensez que votre pratique de l’auto-édition est lié à votre situation géographique ? à l’organisation du marché de la bande dessinée aux USA ?
Je suis originaire du nord de la Californie, donc je pense avoir un goût très particulier de la culture zine depuis l’adolescence. Le mouvement Riot Grrrl a commencé au nord d’ici à Olympia, dans l’État de Washington et à Portland, en Oregon. Avoir également accès à l’Alternative Press Expo à San Francisco était énorme.
Dans les années 1980, l’auto-édition dans les bandes dessinées aux États-Unis était bouillonnante et lucrative. Les bandes dessinées comme "Bone" (Jeff Smith), "A Distant Soil" (Colleen Doran) ou "Finder" (Carla Speed McNeil) ont toutes connu un grand succès en auto-édition. Je pense certainement qu’une partie de cette philosophie et de cette énergie est restée. Beaucoup des grands succès de l’auto-édition de nos jours sont en ligne - ça compte toujours dans le paysage éditorial !
Edition
Quel a été votre premier éditeur ? Connaissaient-ils votre travail grâce à l’auto-édition ?
Uncivilized Books. Je leur ai donné un exemplaire de mon premier "In Situ", qui avait été publié chez "Colosse" en auto-édition.
Avez-vous continué à autopublier depuis ? Pourquoi ?
Je continue à auto-publier. Les bandes dessinées sont si longues à dessiner, si je travaille longtemps, je veux voir les réactions des gens avant que tout soit terminé ! Essayer de faire un roman graphique sans le sortir par épisode me semble complètement écrasant, mais la plupart des éditeurs indépendants ne le font plus ces derniers temps. Je veux aussi fidéliser un public pour la sortie du récit en livre et je pense que la publication par épisode et l’auto-édition sont un bon moyen de le faire.
Allez-vous continuer à auto-éditer dans les prochaines années ?
Je travaille sur une bande dessinée de plus ou moins 192 pages et je compte la publier moi-même au fur et à mesure ! J’ai déjà un éditeur pour la publication en livre mais je suis bien trop impatient d’attendre que cela sorte !
Pour vos livres qui sont passés de l’auto-édition à l’édition, quelles questions de remontage ou de format se sont posés ? Comment voyez-vous la relation entre les deux ?
Je pense que c’est vraiment cool d’avoir les deux. Je ne m’attends pas spécialement à ce que quelqu’un qui ait tous les épisodes en minicomics, achète le livre ou l’inverse. Je pense que c’est différent de lire quelque chose au fur et à mesure qu’il est réalisé, plutôt que d’avoir un récit complet. Pour un long récit, j’ai toujours l’impression qu’il ne pourrait pas exister sans être précédé de comics ou d’une publication par épisode, qu’il soit ou non auto-publié. Les minicomics sont vraiment géniaux, mais le livre protège un peu mieux des outrages du temps.
Je me sens déconnecté du travail de production du livre. Comment savoir si les personnes qui font le livre, reçoivent un salaire équitable ? Mon livre avec Uncivilized Books a été imprimé aux États-Unis, mais la plupart des livres (même la plupart des livres de Uncivilized) sont imprimés à l’étranger, où les lois du travail ne sont pas garanties.
L’exposition
Vous pouvez nous parler des travaux que l’on peut voir dans l’exposition ?
Le point commun de toutes ces pages est qu’elles sont généralement dessinées sur du papier fin, et dans différents formats, parfois juste ce qui était disponible. Au début des pages, mon style de dessin change constamment parce que je tente différentes choses. Je pense que la liberté de l’auto-édition m’a permis d’expérimenter, sans craindre qu’un éditeur ait des attentes particulières envers mon travail.