Kelly Perkins a quitté le bureau d’avocat de son père il y a un an. Il est désormais Fante Bukowski, auteur en devenir, hirsute et négligé. S’il désire de tout son coeur devenir une star littéraire et prouver à son père sa valeur, il apparaît comme la caricature de l’artiste aigri. Martelant sa machine à écrire dans une chambre d’hôtel, soignant son mal-être avec du vin bon marché, il en est réduit à téléphoner à sa mère pour quémander de quoi vivre.
S’identifiant à John Fante et Charles Bukowski, il se sent incompris, et plus encore, inadapté au monde de consommation et de jouissance qui l’entoure. Lors d’une soirée littéraire, il rencontre pourtant Audrey, une jeune auteure déjà publiée, qui a apprécié sa lecture publique de poèmes. Fraîche, excentrique et cassante, elle s’amourache de Fante Bukowski et lui offre l’opportunité d’être enfin lu par Ralph Bigsburgh, l’imbu mais incontournable découvreur de talents.
Noah Van Sciver maintient en équilibre son personnage, à la fois insupportable et touchant, déchiré entre ses rêves d’authenticité et le désir de vivre les clichés les plus éculés de l’artiste maudit. Son dessin direct et énergique, soutenu par une mise en couleur franche, teinte d’humour et de tendresse la trajectoire de son Fante Bukowski à travers le monde de l’édition, ses auteurs confirmés et ses wannabe. Son récit pose en sourdine la question terrifiante de tout aspirant artiste : "Et si même j’arrive à écrire quelque chose qui en vaille la peine, y aurait-il au bout du chemin quelqu’un pour le lire ?".
Fante Bukowski est le premier livre publié en français de Noah Van Sciver (1984, New Jersey, USA), déjà connu dans le cercle indépendant américain avec "The Hypo : The Melancholic Young Lincoln” chez fantagraphics en 2012, mais surtout pour sa revue "Blammo" et une importante production autopubliée qui reste à découvrir pour le public européen. A l’aise dans l’autobiographie aussi bien que dans la fiction et même le récit historique, il excelle dans la capacité à camper sans effets des personnages réalistes, et à décrire les problèmes existentiels de sa génération, celle des années 10’, dans une Amérique comme toujours sans aménité.